Mustapha Koriche, alias Sabu, son nom de scène, est illusionniste de métier. Une passion qui remonte à ses 14 ans et qui ne l’a jamais quitté. Ce joyeux trublion, natif de Boufarik, a vécu dans sa chair la débâcle sanglante des années 1990. En 1993, ses petits tours de magie pour enfants lui vaudront les foudres d’un imam ombrageux, du haut d’un minbar rasé depuis. Le GIA veut sa peau. En septembre 1995, il revient au bercail après moult tribulations qui le mènent jusqu’à Tunis et s’engage dans le corps des Patriotes.

Il devient très vite la figure de proue de la lutte antiterroriste dans la Mitidja. Mais la scène lui manque et, dès le début des années 2000, il renoue avec ses vieux tours de prestidigitateur enchanté, tout en continuant à porter l’uniforme de la résistance.  Après vingt ans de bons et loyaux services, il dépose définitivement les armes et se lance dans un projet audacieux qu’il caresse depuis sa prime jeunesse : monter son propre cirque.

Il livre une ultime bataille contre la bureaucratie et, au bout de deux ans de combat, il revient plus déterminé que jamais, arborant son registre du commerce avec, en guise de raison sociale, cette drôle d’enseigne : «Koriche Circus». «Il y a le Cirque Amar et il y a moi», proclame-t-il fièrement, décidé à se lancer très rapidement sur les routes pour semer des étoiles dans les yeux des enfants, de Tablat à Tamanrasset. C’est que pour lui, le cirque, les clowns, les saltimbanques, «c’est aussi une forme de résistance».

A 57 ans, Mustapha Koriche a le corps sec et souple d’un acrobate. A un âge où les organismes se gâtent, lui arbore une silhouette insolemment gracile et fine comme un bâton d’allumette. Béret vissé sur le crâne, cigarette au bec et faux airs de Bruce Willis, il faut reconnaître que «Sabu» a de l’allure. Rendez-vous est pris ce mercredi 24 novembre avec Mustapha dans l’agora de son quartier de toujours, la cité Makhloufi Boualem, au nord de Boufarik. Nous prenons place dans un local à la bordure de la cité pittoresque construite à la fin des années 1950.

C’est dans ce local couleur ciment que Mustapha a rangé son matériel de cirque : une bâche pliée, de couleur rouge et blanc, des pieux, des corniches, 200 chaises empilées et autres accessoires encore sous emballage et jalousement conservés dans leur carton en attendant le jour J. Mustapha sort d’emblée de la poche de son imper bleu marine une pile de photos pour nous montrer «l’animal» : «Voilà mon chapiteau debout. Ça, ce sont des tests que j’ai faits pour vérifier le matériel. J’ai effectué deux essais, l’un à Zemmouri, l’autre à la cité Matico de Boufarik.» Une manière de suggérer que le Koriche Circus, c’est du concret.

Aide-magicien à 14 ans dans un cirque français

Mustapha se lance dans une rétrospective truculente en égrenant les dates de son parcours picaresque. «Je suis né le 16 août 1958 à Boufarik, précisément à la rue Victor Hugo. Mon père et mon grand-père sont tous deux nés à Boufarik» raconte-t-il. Comment s’est faite la rencontre du «petit Mus» avec le monde du cirque ? «C’était en 1972, j’avais 14 ans.

A l’époque, il y avait une compagnie de cirque française qui se faisait appeler ‘‘Le Cirque mondial’’», qui s’était posée à Boufarik, sur le parking du vieux marché. Je suis allé voir le patron, je lui ai dit : «Je voudrais vous accompagner. Il m’a tout de suite pris en sympathie. Il s’appelait Alexeï Robin. Il était charmé par mon audace. J’étais devenu comme un fils pour lui.

Il m’a confié aux bons soins d’un magicien qui s’appelait Roger Roustan, qui avait rejoint la troupe au Mali. Au bout de quelques jours, j’ai été engagé comme aide-magicien. J’ai été d’emblée lancé sur la piste. Je dormais dans une roulotte. C’est comme ça que j’ai acquis les rudiments du métier, en observant Roger et en l’aidant à préparer ses astuces.» Le jeune apprenti prend rapidement goût à la chose.

Son idée est faite : il sera magicien ou rien. «J’ai accompagné cette troupe jusqu’en 1975. Après, j’ai commencé à sillonner les parcs forains. J’ai fabriqué un mini-théâtre. A 20 ans, je connaissais l’Algérie tchoukhna b’tchoukhna, commune par commune.» A la fin des années 1970, Mustapha Koriche franchit un palier en intégrant le circuit scolaire. «J’ai eu la première autorisation du ministère de l’Education en 1979-1980. J’ai commencé avec les wilayas de Blida et de Mascara», se souvient-il.

Dans les années 1980, Mustapha Koriche est à l’apogée de son art. Il est sollicité partout. «Je travaillais très bien. Je n’arrêtais pas. Je faisais les écoles, mais aussi les centres culturels, les colonies de vacances, les complexes touristiques… J’ai fait le Casif (Sidi Fredj), Moretti, Club des Pins, qui était ouvert au peuple à l’époque… Je me produisais aussi à Zéralda, Matarès, au CET (Tipasa), à Chréa.

Matlagt oualou !» Mustapha affectionne particulièrement les spectacles pour enfants, son public de prédilection : «Je monte mes numéros dans un esprit éducatif, avec des visées à la fois ludiques et pédagogiques. Ce sont des tours adaptés aux enfants. Des trucs minimes. Par exemple, la réapparition du lapin, la disparition de l’objet, le déplacement d’un objet, le coup du chapeau...Je leur évite les tours de grande illusion, réservés aux adultes.»

«Tout ce que fait ce sahhar est h’ram»

Arrivent les années noires. Rouges. Les jours «sang». Sabu est montré du doigt. «On a senti le vent tourner dès le début des années 1990. L’atmosphère était devenue pesante. Un jour de 1993, l’imam de la mosquée Ettouba s’est fendu d’un prêche incendiaire, où il me ciblait nommément. Il disait «ce sahhar (sorcier) ira en enfer».

Je n’oublierai jamais ça. A l’époque, j’avais un fourgon chamarré, avec des essaims de colombes, des clowns farceurs et mon nom gravé en toutes lettres : SABU LE MAGICIEN. Je faisais mes tournées avec. Et l’imam qui fulmine : «Tout ce que fait ce sahhar est h’ram. Ne lui adressez pas la parole, ne prenez pas son argent, ne montez pas avec lui ! Cet homme est hram fi h’ram, de la tête aux orteils.»»

Mustapha commente : «J’étais dégoûté, désespéré. J’ai pris cet avertissement très au sérieux. J’avais une BMW, je l’ai vendue à perte et j’ai quitté Boufarik. J’ai passé six mois à traîner d’un hôtel à l’autre. Je suis parti à Oran. Grâce au soutien de l’académie d’Oran, j’ai pu travailler dans les écoles de la région : Oran, Arzew, Gdyel, Hassi Bounif, Bettioua…

Ensuite, je suis parti en Tunisie. J’ai travaillé au Théâtre de verdure de la ville d’Ezzahra, près de Tunis. Il était dirigé par ammi Ali, celui qui a joué dans Les Vacances de l’inspecteur Tahar (le comédien tunisien Mohamed Ben Ali, ndlr). Il m’a beaucoup aidé. Je suis resté six mois en Tunisie et je suis rentré. Je m’inquiétais pour ma famille.» Mustapha s’établit à Blida pour être au plus près des siens. «Et puis un jour, j’apprends que l’armée occupait le CEM qui jouxte notre cité (CEM Bellouche, ndlr). C’était en septembre 1995.

Ça m’a rassuré. J’ai aussitôt réintégré la cité. Deux ou trois jours à peine après mon retour, j’ai rejoint le corps des Patriotes.» Mustapha insiste sur le fait qu’il a toujours été prompt à s’engager depuis son enfance. Une sorte de boy-scout qui bataillait sur tous les fronts. «Déjà quand j’étais petit, j’ai adhéré aux Scouts musulmans. Ensuite, j’ai milité au sein de l’UNJA. Et j’ai toujours été volontaire. Quand il y a eu le séisme d’El Asnam en 1980, je me suis tout de suite rendu sur place. Je faisais partie d’une équipe de secouristes qui intervenait à El Abadia.»

«Rani ayeche Fel fayda»

Mustapha endosse l’uniforme de la résistance sans la moindre préparation ni formation paramilitaire. Néanmoins, il gravit les échelons et devient chef de groupe. «J’avais 60 bonshommes sous mon autorité. Les gens à Boufarik se sont tout de suite mobilisés. C’était ça ou notre extermination. Allah yerham echouhada.

Des hommes se sont sacrifiés pour qu’on vive en paix.» Mustapha raconte ses innombrables flirts avec la mort et lâche dans un sourire : «Rani ayeche fel fayda. Tout ce que je vis est un bonus. J’ai frôlé la mort à plusieurs reprises. Une fois, une mine a explosé juste à quelques mètres de moi sur la route de Chebli. Nous avons perdu deux des nôtres, déchiquetés par la mine.»

Et de souligner : «Je le dis en toute objectivité : ce sont les Patriotes qui ont porté les coups les plus fatals au GIA et consorts. Non pas que l’armée était faible, loin de là. Mais notre action de proximité s’est révélée payante. Tu ramènes un militaire de Ouargla ou de Constantine, tu le mets à Boufarik, il ne connaît pas la ville, les quartiers, il ne connaît pas les gens, comment veux-tu qu’il soit efficace ?» Il poursuit : «J’ai été affecté par la suite au commandement des Patriotes à la cité Dallas.

J’ai été promu secrétaire général du coordinateur de la région est de Blida, qui s’étend jusqu’à Meftah.» Mustapha continuera à servir dans le corps des Patriotes jusqu’en 2010.» «Un jour, on nous a notifié que les Patriotes c’était fini, que nous serions reversés à la protection des grandes entreprises. Et voilà que je me retrouve posté dans une guérite d’une filiale de Sonelgaz. J’étais indigné !

J’avais 2400 hommes sous ma responsabilité et je me retrouve dans une garita ! Ce n’était pas facile à digérer. Le chef du secteur militaire (de Blida) m’a convaincu de poursuivre ma mission et j’ai tiré encore cinq ans. Jusqu’au jour où un responsable de cette entreprise m’a lancé : «Derna fikoum m’ziya, on vous a fait une faveur en vous recrutant.» Ça m’a profondément blessé. J’aurais servi pendant 20 ans au total et voilà comment on me récompense.

Là, j’ai dit basta. Je suis parti sans demander mon reste. J’étais un engagé volontaire à la base, je ne demandais pas l’aumône !» martèle-t-il. Malgré cet affront, Mustapha se dit prêt à rempiler si une nouvelle menace se profilait. «Je répondrai présent, bien sûr ! On demande juste à l’Etat de surveiller les frontières, on s’occupera du reste. Mais Inchallah, tout ça est derrière nous. Le peuple est vacciné.»

«Il n’y a jamais eu de cirque algérien depuis 1962»

Si Mustapha prenait à cœur sa mission de Patriote, Sabu, lui, n’était jamais loin, même si les circonstances l’avaient contraint à ranger sa cape et son chapeau de magicien. «Je n’ai véritablement arrêté que durant la période 1995-2000. Mais dès que la situation sécuritaire a commencé à s’améliorer, j’ai repris mes activités. A mes heures perdues, j’allais faire de l’animation pour faire oublier à nos enfants les traumatismes qu’ils ont vécus.»

Pendant toutes ces années, une idée entêtante n’a pas quitté son esprit : monter un cirque. Il surfe sur internet, se renseigne sur les sociétés de fabrication de chapiteaux de cirque. En 2013, il entame la procédure de création de ce qui deviendra le «Koriche Circus». Il fait son montage financier, compare les factures proforma.

C’est ainsi qu’il réussit, après moult péripéties, à s’offrir un chapiteau de cirque d’une valeur de 6 millions de dinars après une galère sans nom. «Je l’ai importé du Danemark, auprès de la société Dancover. Il m’a fallu deux ans rien que pour obtenir mon registre du commerce. Je le dois au DRAG de la wilaya de Blida qui m’a beaucoup aidé», dit-il avec reconnaissance. «Mais pour le financement, je n’ai pas eu un sou de l’Etat», lâche-t-il. «J’ai été aidé uniquement par ma famille. Seul, je n’y serais jamais arrivé.»

Les yeux pétillants, Mustapha soupire : «C’est un vieux rêve qui se réalise. Il y a le Cirque Amar et il y a moi. Quoique le Cirque Amar n’a d’algérien que le nom. Certes, il est né en Algérie (fondé par Ahmed Ben Amar à la fin du XIXe siècle), mais il s’est installé en France (bien avant l’indépendance, ndlr). Il n’y a jamais eu de cirque vraiment algérien depuis 1962. Pourtant, c’est quelque chose qui passionne les gens. Je le constate à chacune de mes tournées. J’ai donné récemment un spectacle à la salle omnisports de Djelfa, la salle était archicomble.»

«J’ai besoin de sponsors»

Qu’y a-t-il au menu du Koriche Circus ? Mustapha tempère ses ambitions : «Je commence avec un mini-cirque. C’est tout ce que me permettent mes moyens pour le moment.» Dans ses dimensions actuelles, il n’est pas possible d’avoir des trapézistes. Il n’est pas prévu également de ménagerie. «Mais ça viendra, Inchallah. Il faut un début à tout. Une fois que le mini-cirque aura pris son envol, on va se développer.

Le chapiteau que j’ai fait 4m de hauteur, 32 m de long et 25 m de large. Il a une capacité de 200 places», détaille le prestidigitateur. «C’est du cirque sur scène. Il y aura des numéros de magie, des spectacles de clowns, il y aura aussi un contorsionniste, un numéro de danse robotique, des ballets… On aura des costumes aux normes internationales. Les hôtesses d’accueil, le préposé à la caisse, l’ouvreur seront tous en tenue de cirque.»

Autre ambition de Mustapha Koriche : lancer une école du cirque, la formation étant, comme de juste, la clé de voûte pour jeter les bases d’une discipline quasi inexistante sous nos latitudes. «L’école du cirque est dans le programme, ça démarrera avec la tournée. L’entraîneur est prêt. C’est un gars de Médéa. Il vivait en Tunisie et maintenant il s’engage avec nous. Il va former des jongleurs, des funambules…» Mustapha se penche actuellement sur le casting. «J’auditionne beaucoup de gens. Je vais créer de l’emploi. Tous ces artistes, ces clowns qui ne travaillent qu’une fois la saint-glinglin vont pouvoir monter sur scène d’une façon régulière», jubile-t-il.

Mustapha piaffe d’impatience. Il ne peut plus attendre : «Je vais démarrer dans un mois, un mois et demi. Je démarre diminué. Il me manque la clôture, les roulottes, mais on est habitués à la misère. Je ne peux pas attendre davantage, je ne peux pas laisser le matériel en jachère comme ça !» Dans la foulée, il lance un appel aux sponsors pour l’aider à mettre en route son spectacle. «J’ai besoin d’aide juste pour démarrer. Je compte beaucoup sur le sponsoring pour tenir. Je vais sillonner les 48 wilayas.

Les sponsors peuvent être sûrs que je ferai entrer leurs marques dans les plus petites bourgades», promet-il. L’ancien Patriote indique qu’avec son registre du commerce, il a simplement besoin d’une autorisation des APC pour installer son chapiteau. Il a déjà une idée de l’itinéraire de sa tournée inaugurale : «Je souhaiterai commencer par Larba, enchaîner sur Tablat, Beni Slimane, Berrouaghia, Ksar El Boukhari, Hassi Bahbah, Aïn Oussera, Djelfa, Laghouat, puis piquer plein Sud.

Pourquoi priver ces populations de gaieté ? Je ne veux pas faire comme ces tourneurs qui ne visent que les grandes villes, et à quel prix ! Nous, on veut pratiquer des prix populaires et porter la culture et la joie aux fins fonds de l’Algérie.» Pour Sabu, il ne fait aucun doute que «la culture, le divertissement, c’est important. Ça va ouvrir l’esprit à nos gamins et les prémunir de l’extrémisme. Un peuple sans culture, c’est comme un zèbre sans rayures»
 
Elwatan - 21 dec 15


Commentaires  
Je trouve que c'est un trés bon projet et je ne le souhaite que de la reussite.
J'aimerai bien contacter Mr Koriche, pourriez vous m'orienter.
Merci
MOunir Benoaie
Tel : 0550 550 776
Mustapha elazzam.... La belle époque
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